Proyecto

2005. Óscar Lloveras. S/T (documentación teórica / texto Gilbert Lascault)

 
LES STRUCTURES SOUPLES D’OSCAR LLOVERAS
LES ENERGIES, LES TENSIONS

Les vides, les espacements

Les sculptures, les peintures, les installations de l’artiste constituent , souvent, des structures souples, extensibles, apparemment frêles, presque instables. Elle trouvent leur place dans un terrain qu’elles transforment. Elles s’imposent avec discrétion et force. Elles jouent avec les vides, avec les écarts, avec les lacunes, avec les espacements, avec les intervalles.

Alors, les vides ne sont pas oubliés, ni inertes. Ils sont parcourus par des souffles. Sans les vides, l’espace vibrerait, chanterait. En 1944, dans un texte cour, le poète Paul Valéry met en relation la sensation d’être libre, notre respiration et la respiration de l’univers: «la liberté est une sensation. Cela se respire (…) par une simple, fraîche, profonde prise de souffle à la source universelle où nous puisons de quoi vivre un instant de plus, tout l’être délivré est envahi d’une renaissance délicieuse de ses volontés authentiques».

L’artiste est proche du peintre Henri Matisse qui, en 1908, parle de «la manière de situer les objets: l’air, les vides qui circulent autour d’eux». Dans un tableau, ce sont «la place qu’occupent les corps, les vides qui sont autour d’eux, les proportions»; car Matisse précise: «Je ne peins pas les choses, je ne peins que les différences entre les choses». Ainsi, les installations d’Oscar Lloveras soulignent les vides, les proportions, les différences entre les choses. Elles évitent l’encombrement des choses. Elles les séparent, les écartent. Elles produisent et opèrent les intervalles, l’entre-deux, puisque Marcel Duchamp note «L’écart est une opération».

L’artiste utilise les vides. Il lit peut-être des phrases du Tao-Tö-King de Lao-Tseu (VIe siècle avant J.-C): «Trente rayons se joignent en un moyeu unique; ce vide dans le char en permet l’usage. D’une motte de glaise, on façonne un vase; ce vide dans le vase en permet l’usage. On ménage portes et fenêtres pour une pièce; ce vide dans la pièce en permet l’usage. L’avoir fait l’avantage, mais le non-avoir fait l’usage.» Selon Lao-Tseu, le nœud, l’énergie sont liés aux vides: «Le creux du Ciel-Terre recueille la vie ; c’est le nœud vital, le centre vivant, le lieu de la formation des influx, des échanges» (1).

Alors, les œuvres de l’artiste tressent le monumental et l’intime, les matériaux et l’immatériel, les structures et le mythique, le géométrique et le sensuel. Centaines œuvres s’intitulent La montée des esprits, Colonnes… Les constructions donnent à voir des légendes, des récits, des rites, des cérémonies souvent discrètes, des célébrations souvent modestes, des rêves choisis. Alors l’art devient parfois proche de certains exercices chamaniques, de certains savoirs énigmatiques.

Ces constructions célèbrent la Nature, le cosmos. Le monde (comme l’exprime le philosophe grec, Héraclite d’Ephèse) est une «harmonie de tensions tour à tour tendues et détendues, comme les cordes tendues et détendues de l’arc et de la lyre». Dans le monde, les forces contraires se fondent en unité. Et, selon Héraclite, «l’harmonie cachée surpasse l’harmonie visible».


Cinq éléments

Dans un carnet de l’artiste, il dessine schématiquement un gorin-tô, un pagode «pagode à cinq cercles», qui représente les cinq «éléments». C’est une structure verticale composite, formée par un cube (représentant la terre), une sphère (l’eau), une pyramide (le feu), une demi-sphère (l’air) et une flamme (l’éther). Les gorin-tô sont introduits au Japon vers le IXe siècle et le bouddhisme les adopterait comme le symbole de l’univers. En pierre, ils ornent des mausolées et des petits tumulus (des Kyôzuka); parfois, ils sont en bois et décorent le sommet de poteaux placés entre les cimetières.

Selon d’autres interprétations, les cinq éléments du cosmos seraient (dans des textes chinois) la terre, l’eau, le métal, le bois (ou le vent), le feu…Même si les classifications sont différentes, l’artiste privilégie toujours une dizaine d’éléments de l’univers et il tisse les matières et les souffles. Il mêle les toiles et les voiles. Il choisit les bois différents et coupés de diverses formes; les branches nouées; les métaux (des tiges, de fils de fer…); les pierres (parfois noires); les cordes végétales et les nattes «de bonheur»; les papiers; les tissus; le verre; les gaz rares (le néon, l’argon…) qui modifient les lumières ;un coquillage en forme d’une spirale; le feu…


Créer des arbres aériens

Le Philosophe Gaston Bachelard (L’air et les songes, Corti,1943) réfléchit sur l’ «arbre aérien». Il cite le poète André Suarès (1868-1948): «Sans cesse, l’arbre prend son élan et frémit les feuilles, ses innombrables ailes». Jack London évoque, sur un immense arbre, un «nid des hautes cimes». Dans une légende, l’ «arbre d’Adam» atteint l’enfer par ses racines et le ciel par ses branches. Parfois un arbre parle avec les vents et porte les étoiles. Et l’artiste crée des «arbres aériens», pour penser à l’arbre cosmique.

D’ailleurs, le mythologue Mircea Eliade(2) estime que , dans diverses civilisations,« tous les arbres rituels ou les poteaux, que l’on consacre avant ou pendant une cérémonie religieuse quelconque, sont comme projetés magiquement au Centre du Monde». Un texte de l’Inde védique décrit l’arbre comme le pilier cosmique: «De ton sommet tu supportes le Ciel; de ta partie médiane tu emplis les aires; de ton pied tu affermis la Terre.» Ou bien, dans le chamanisme, l’escalade d’un tel arbre par le chaman tatar symbolise son ascension au ciel. Ou encore, certains chamans obtiennent l’extase à l’aide de leurs tambours et « le tambour serait fait du bois même de l’Arbre du Monde». L’artiste suggère des végétaux dressés vers le ciel.


Les feuilles d’érable et les pièges des souffles

L’artiste conserve des feuilles d’érable de divers pays. Il les laisse sécher entre les feuilles de papier journal et les transporte. Il invente des installations dans lesquelles interviennent les feuilles d’érable: à Paris (dans son atelier), à Osaka, à Clamart (au Centre Albert Chanot), à Paris aussi ( dans la galerie Akié Arichi)…La feuille flamboyante d’érable est l’un des emblèmes de l’artiste. Il utilise les feuilles et les fils qui constituent les filets étranges, des nasses énigmatiques, des sortes de pièges pour attraper les souffles, les esprits puissants, les vents, les pensées venues d’on ne sait où. En particulier, dans un village d’une Ile de la Mer de Chine, dans un hangar de pêcheurs, il invente ces premiers filets.
Au Japon, dans le Kansaï, en automne, les familles partent en week-end pour «capturer les feuilles et les images», pour contempler le rouge varié des érables.
En Australie, dans une forêt, l’artiste, un matin, voit les feuillages encore plus rouges que jamais. C’est le feu dans une splendeur terrifiante, dangereuse.


L’éloge du papier

Les œuvres de l’artiste constituent un éloge du papier. Dans les villes, il trouve des papiers divers, occidentaux ou orientaux, fins ou épais, fragiles ou solides. Il le recueille, les conserve. Il les découpe. Il les modifie. Il les froisse et le repasse. Parfois, il utilise certains papiers insolites: par exemple, des fax de la guerre du Golfe. Souvent, il se sert du papier journal, du papier de soie, du papier qui enveloppe les pizzas. Il les colore avec des pigments naturels.

Au Japon, il fabrique personnellement son papier. Le papier japonais se nomme le Washi. Il le fabrique avec les fibres de l’écorce de trois arbustes. Le papier de mûrier est le plus robuste et rugueux; un autre papier est plus lisse. Le Washi est fort, doux.

Les papier de l’artiste sont des surfaces, des plans, des supports, des subjectiles. Ils interviennent dans les peintures et les installations de l’artiste. Ils sont suspendus.
Ainsi, les gohei sont des symboles shintô faits de bandes de papier blanc pliées en zigzag, fixées soit sur un pilier, soit sur un support quelconque ou encore suspendues sur une corde sacrée tendue en travers d’un portique(Torii) de sanctuaire shintô. Les gohei indiqueraient la présence des divinités(les Kami). L’artiste pense souvent aux gohei et aux kami.


Les noeuds, les cordes

Dans les installations de l’artiste, les cordes( sacrées et profanes), les ligatures, les lianes, les noeuds, les tensions, les structures en cordage, les «nattes de bonheur» interviennent. Ancien marin, il manipule les grelins, les élingues.
Au Japon, selon les régions, on fabrique des cordes végétales de formes variées. Par exemple, on y suspend de petits oranges amères qui sont autant des offrandes que des décorations. Ici, on note l’existence d’énormes cordes nouées. Ailleurs, les cordes de paille sont souvent remplacées par des nattes de la même paille. Par exemple, les cordes(ou les nattes) délimitent «l’abri du dieu de l’an» et le signalent; elles constituent aussi une barrière, interdisant les accès des aires sacrées aux forces du mal; on y suspend parfois des plaquettes de bois(4)… Vrilles végétales, paille, étoffe et papier sont les matériaux d’élection d’une longue tradition de nouage. Utilitaire, décoratif ou symbolique, le noeud japonais et soumis à des règles strictes; la couleur, la forme et l’emplacement du nœud du vêtement correspondant à des critères d’âge, de sexe, de classe; le nœud qui enserre le rouleau peint témoigne du degré artistique de celui qui l’a noué; les cordelettes de papier coloré sur le paquet-cadeau signifient rigoureusement la raison du présent et la valeur qu’on lui attache. Nouer n’est pas un acte innocent, mais signifiant, voire créateur. Le nœud relie(musubi) et il lie(yui); me est l’œil, la maille, le point de couture qui considère, du noeud, le centre surtout, le vide qu’il enlace et façonne entre les brins; shime est employé en composition et dénote l’idée de fermeture. Des cordes en paille ceignent les enceintes sacrées, balises proposées aux divinités, remparts opposés aux souillures. Le nœud central, suspendu au portique du sanctuaire proclame le sacré et barre la route au mal. Dans certaines cérémonies bouddhiques, le nœud qui lie la corde a perdu son support matériel: c’est une mudrâ, que l’on noue de ses doigts. De ses doigts, l’artiste peut parfois nouer des cordages invisibles et des cordes réelles…Pour assurer la clôture du monde rituel, encerclé de fines cordelettes nouées, le maître des rites ésotériques noue autour de l’autel les sceaux de la terre, des quatre directions.
D’autre part, certaines divinités(musubi no kami) peuvent créer toutes choses en liant, susciter la vie en alliant deux matières inertes.
Nouer est qu’une des premières techniques de l’industrie humaine: ce fut aussi l’une des premières techniques de création divine. En nouant, les dieux suscitèrent l’énergie de l’univers. Et aussi, nouer serait un acte qui permet d’attacher une parcelle d’esprit à un corps. Le nœud est un principe de vie.

Dans des poèmes japonais du VIIIe siècle, les nœuds symbolisent les liens amoureux, la fidélité et le retour de l’être aimé. Le nœud est l’un des symboles du mariage. Car les divinités du mariage sont noueuses de liens.


Explorer les territoires

L’artiste explore des territoires proches et lointains. Il les examine. Il les inspecte, les visite.
Il apprécie et analyse leurs coordonnées, leurs orientation. Ses œuvres les métamorphosent.
Les ateliers de l’artiste ( actuellement l’un a Paris et l’autre dans l’île de Shikoku au Japon, ne sont pas seulement des lieux de travail; ils se manifestent comme des espaces modifiés dans lesquels des plantes poussent parmi des pierres, parmi des livres. Sur un mure des structures sont accrochées. Une autre, giganteste, est d’abord couchée sur un plancher; puis l’artiste la dresse, l’érige. Des néons modifient la lumière de l’atelier. Dans un coin, discret, un petit autel est modeste: une pierre trouvée, des graines, une calligraphie, la formule d’une prière bouddhique.
Dans le Nord de la France, les installations de l’artiste nous donnent à voir des images neuves de la Mer du Nord, de la lumière des peintres flamands, des villages mélancoliques, des usines désaffectées, des terrils de mines, des amoncellements, des scories. Elles révèlent une règion forte et grave, les traces tragiques des guerres recommencées, et les brouillards. L’artiste collecte les matériaux destinées à ses œuvres: les pierres noires, les tissus blancs des usines, les cordages, les métaux parfois rouillés. Une ferme abandonnée devient son atelier provisoire. Les installations de l’artiste unissent la présent et la mémoire, la nature et les travaux des hommes. Près de la mer, l’artiste dessine sur le sable.
Ou bien, dans la ville, au cœur du vieux Lille, l’artiste découvre une église du XVIII ème siècle: La Grande Madeleine. La coupole est haute de 35 mètres. Entre les larges colonnades de marbre noir belge, on distingue trois autels, deux espaces qui servaient aux baptêmes et à l’accueil des moines. Alors, l’artiste présente une vingtaine de peintures de 5 mètres, des installations qui utilisent, entre autres, cordages et papier. Il crée des lumières artificielles dans l’ensemble bleuâtre, dû aux vitraux, sur le marbre noir. Par des tubes de verre, par l’argon, le néon, le mercure, il invente des lumières-couleurs qui donnent la sensation de l’unité de l’espace transfiguré. Il pense s’etre d’abord inspiré, pendant l’adolescence, de l’Arte Povera et du Land Art; puis il crée, dit il, «un objet sans forme» , dans son esprit, comme le «fruit du désir» . La nature y règne dans les lumières et les ombres, au cœur de la cité.
Ou aussi, l’artiste inscrit des événements dans le paysage. Vous pouvez alors lire un poème de Charles Baudelaire: «La Nature est un temple ou les vivants piliers/ Laissent parfois sortir des confuses paroles/ L’homme y passe à travers des forêts et des symboles/ Qui l’observent avec des regards familiers.» Comme le précise le mythologue Mircea Eliade, l’installation dans un territoire équivaut à la fondation d’un monde. Pour lui, le temple (templum) et le temps (tempus) se correspondent.

 
Pélérinages

A travers cinq continents, en particulier en Argentine, en Australie où il rencontre les Aborigènes, en France ( près de la Mer du Nord et près des mines), en Italie (à Carrare), en Indonésie, dans divers Îles du Japon, l’artiste est un pèlerin permanent, un voyageur voyant. Il ne cherche jamais l’exotisme. Il refuse tout pittoresque bariolé. Si Lanza del Vasto publie, en 1943, Le pèlerinage aux sources, l’artiste cherche à découvrir les sources des rivières, des fleuves et celles invisibles, secrètes, comme des sages, des chamans, des poètes, des rêveurs captent les principes de la vie, cherchent le chiffre des choses. Il erre et il contemple. Il découvre des terres privilégiées, des espaces inespérés, des lieux inattendues. Il écoute le chant des vents, des vagues de la mer, les êtres et des choses. Il découvre des mythes et des rites variés.

Le pèlerinage interminable de l’artiste est une initiation spirituelle. Il choisit ses périples. Souvent il garde des objets témoins (des feuilles d’érable, des pierres, des branches, des pots, des graines…), des traces conservées, des vestiges, des signes de la mémoire. Il cherche la quête de l’âme et de l’art dans un parcourt permanent, par la marche, par la recherche des chemins. Ses structures définissent les sites spirituels d’une géographie. L’artiste se métamorphose tout en modifiant l’espace.

Dans le «temps du rêve» dont parlent les aborigènes, dans le temps primordial des mythes, dans les voyages imaginés des divinités ou des ancêtres, l’artiste trouve son nomadisme spirituel, réglé.

Au cœur de l’Australie, sur les terres rouges et sèches, parsemées des buissons maigres, des centaines de pistes invisibles s’entremêlent. Pour les Aborigènes, pour ces rêveurs du désert, une piste parcourt mille kilomètres, balisée par des collines, des rochers, des arbres isolés, des sources : les sites sacrés d’un itinéraire. Les Aborigènes évoquent alors le voyage d’un peuple ancestral qui, dans l’espace-temps du Rêve, traversa le désert, avant de se transformer en étoiles. Ils peuvent chanter, danser, peindre les Rêves: le Rêve Emeu, le Rêve Perruche Verte, le Rêve Etoiles, le Rêve Bâton à Fouir, le Rêve Varan…Dans le temps du Rêve( «the dream time»), chaque évènement des ancêtres est marqué par une trace dans le paysage(5).

Au Japon, deux types de pèlerinages se pratiquent (6) : l’un, venu de Chine, est à rattacher au bouddhisme; l’autre, plus spécifiquement au Shintô. La pratique est un cheminement, un circuit de dévotions. Les circuits les plus populaires sont celui des «quatre-vingt-huit sanctuaires de Shikoku», le plus ancien et le plus fréquenté, et celui des «trente-trois sanctuaires des Provinces occidentales» (au Shikoku).

Le pèlerin parcourt les quatre-vingt-huit sanctuaires du Shikoku : 1240 kilomètres, au moins une quarantaine de jours. Il porte des cartes entre deux planchettes qu’il dépose à chaque station de son périple, pour attester son passage. Le pèlerinage constitue une géographie spirituelle, la reprise du parcours de Kôbo-Taishi (né en 774), un saint du bouddhisme japonais.

D’une autre façon, l’artiste invente, dans tel territoire qu’il a choisi, un cheminement spirituel. Il crée un pèlerinage modeste, discret, un parcours. Dans l’île de Shikoku, dans la forêt, il conçoit cinq installations en l’honneur de cinq villages, en rapport avec l’eau, le feu, la terre, le bois et le métal. Ces sites sont destinés aux villageois, aux adolescents qui sont des élèves de l’artiste, aux voyageurs. Devant les installations, certains se réunissent, boivent du saké et d’autres se reposent ou méditent.

Dans un paysage, chaque installation de l’artiste est une grande forme qui évoque parfois un immense oiseau; parfois la voile d’un navire ; ou bien une échelle qui se dresse de la terre au ciel ; ou aussi un rideau flottant ; ou encore une maison schématique ; ou peut-être un papillon ; ou aussi une croix ; parfois la silhouette épuisée d’un humain ou d’une divinité… La grande forme est le signal qui indique un terrain élu, un lieu de tension et de recueillement, un pôle d’énergies.


Les divinités de la montagne

Dans la région de la Montagne des divinités (Kami-yama), l’artiste sculpte, en 2000, une construction dressée, proche d’une architecture japonaise, un arbre qui serait l’axe du monde. La région serait bleue ; le ciel, les rochers, les arbres sembleraient bleus. L’artiste rencontre alors des pèlerins habillés de blanc, des prêtres, des sages.

L’artiste célèbre, glorifie les kami, les esprits divin. D’après la tradition, les Kami seraient au nombre de 88 millions. Ils sont vénérés, en particulier, dans des sanctuaires et ils peuvent habiter des sites naturels ; ils protègent les montagnes (yama no kami), les champs (ta no Kami), les chemins (sae no Kami)
Dans la conscience japonaise, la terme yama (montagne) ne désigne pas tant les élévations de terrain, montagnes et collines, que les zones non défrichées par opposition aux terres cultivées, soit l’ensemble des zones forestières, souvent montagneuses, où on pratique la chasse et le bûcheronnage (7). Un rite inaugural consiste à aller couper solennellement en montagne pour la première fois de l’année. C’est l’accueil du dieu de la montagne descendant dans la rizière à la veille du début des travaux agraires. Les paysans choisissent un arbre convenable comme support symbolique du dieu de la montagne et ils font des offrandes d’alcool de riz et de gâteau , avant de couper les petites branches de l’arbre ; ils y accrochent un symbole de papier ou de bois.

Et, au début du bûcheronnage, les bûcherons «déterminent le bon arbre», récitent une formule pour s’attirer les bonnes grâces du dieu de la montagne. Sans doute, pour sculpter, l’artiste «détermine le bon arbre».

La montagne est le territoire de la divinité. Elle se loge souvent dans les arbres fourchus ou dans les pierres de forme bizarre. Les arbres et le gibier lui appartiennent. La divinité peut être une femme, un homme, un couple, un loup, un serpent, un renard, un
vieillard borgne et unijambiste. Son culte est aussi multiforme que son aspect.


Traces sur le sable

Sable… Au Japon, pour la fête du dieu du sol. La pureté, l’absence de toute souillure est une condition du bon déroulement des rites et le sable ramassé sur la plage est dispersé devant et dans la maison, afin de purifier les lieux et leurs habitants…Parfois, un autel pour certains défunts consiste en un terre-plein parallélépipédique, rectangulaire, en sable de rivière aux quatre coins duquel on place des bambous décorés de feuilles de badiane de Chine. Le sable est maintenu par des bambous placés horizontalement et fixés aux piliers d’angle.

Le jardin du monastère Ryoan-Ji à Kyoto est un «jardin sec», recouvert de sable, meublé de quinze pierres, clos de murs. Les myriades de grains de sable symbolisent le vide entre les quinze rochers. Le sable est proprement balayé peut-être par les moines et les archipels des pierres sont, en quelque sorte, auréolés.

En 1948, dans le Sahara, Jean Dubuffet est fasciné par le sable du désert. Restent les empreintes des pieds nus dans le sable; elles font trace ; puis rien ; elles sont effacées par le vent.

 

Gilbert Lascault
(octobre 2001)

(1) Cf. François Cheng, Vide et plein (le langage pictural chinois), Seuil, 1979.
(2)Mircea Eliade, Images et symboles (essais sur le symbolisme magico-religieux), Gallimard, 1952
(4) Laurence Berthier-Caillet et coll., Fêtes et rites des quatre saisons au Japon, PDF, 1981
(5) Cf. Barbara Gowczewski, Les rêveurs du désert, Plon1989
(6) Les pélerinages, Sources orientales, Seuil,1960
(7) Laurence Berthier-Caillet et coll., Fêtes et rites des quatre saisons au Japon, P.O.F., 1981

 

 

 

 

 

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